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recherche menu principal aller au contenu principal aller au contenu secondaire accueil enseignement formation interventions publications actualité à propos contact navigation des articles ← articles plus anciens épicure, une expérience de la profondeur du corps publié le 13 novembre 2017 par répondre ( article publié dans la revue espace-prépas , n° 173, octobre 2017) la pensée d’épicure est un matérialisme moniste. il existe en effet deux types de matérialismes. le premier est dualiste, qui veut que si tout n’est pas matière tout ce qui ne l’est pas est déterminé par cette dernière. le second est moniste, qui ne reconnaît qu’une seule substance, la matière. or, pour épicure, tout est matière. le matérialisme épicurien est en outre atomiste, qui considère que la plus petite particule de matière, indivisible (du grec a-tomos , insécable) donc, est l’atome. ceci précisé, soulignons que la pensée d’épicure, et c’est ce que nous tâcherons d’établir, engage la question du corps en deux sens distincts quoique liés. car le corps est d’abord, en un sens vernaculaire, la chose matérielle, disctincte de l’esprit. or, si tout est matière, on peut dire alors que tout est corps. il ne sera donc guère étonnant, de ce premier point de vue, que la théorie de la connaissance fasse droit à la sensation et que l’ontologie épicurienne ne soit qu’une science des corps, une physique. on ne s’étonnera pas davantage que, sur le terrain de la morale, épicure réhabilite les désirs et les besoins venant du corps, bref que l’idéal du bonheur devienne celui d’un équilibre accessible à condition de satisfaire les appétits corporels. cela dit, la morale d’épicure ne s’épuise pas dans la critique du spiritualisme, voire du puritanisme pythagoricien ou platonicien. elle ne se contente pas de légitimer les besoins du corps. car en montrant en quoi la satisfaction relative des appétits corporels conditionne l’accès au bonheur, elle tend à établir que l’expérience du bonheur est celle-là même du corps comme si être heureux n’était qu’être présent à son corps, autrement dit présent à l’instant présent. de sorte que si la pensée d’épicure est un hédonisme, elle est aussi un ascétisme, autrement dit un genre de vie qui, adossé à des exercices, autorise une veritable réconcilation avec la nature et rend possible l’expérience d’un véritable émerveillement. nous procéderons donc en trois temps. dans le premier, nous montrerons que la sagesse d’épicure a pour point de départ une expérience et un choix fondamentaux. dans un second temps, nous expliquerons en quoi l’hédonisme épicurien engage une ascèse proprement corporelle. enfin, nous tenterons d’établir que cette ascèse débouche sur une expérience qui n’est autre que celle de la profondeur du corps. au point de départ, une expérience et un choix la sagesse d’épicure répond à une aspiration et à un besoin historiquement déterminé. l’homme aspire au bonheur et c’est à ce titre que la philosophie sera “une activité qui par des discours et des raisonnements nous procure la vie heureuse”. mais la sagesse épicurienne répond aussi à un besoin, comme d’ailleurs toutes les belles morales de l’antiquité. or, ce besoin n’est autre que celui de pallier la crise de la démocratie athénienne. les athéniens, qui avaient fondé les plus grands espoirs dans les réformes initiées par clisthène, virent se développer corruption et démagogie dans une cité livrée à une classe politique plus attachée à ses avantages sonnants et trébuchants qu’au bien de la cité. pourquoi la philosophie fut-elle alors ce qui a la raison comme moyen et le bonheur pour but sinon parce qu’il s’agissait de pallier la faillite de l’idée politique du bonheur, afférente à l’idéal issu des réformes poursuivies par périclès? aussi épicure, nous recommandant de nous retirer au jardin, montre-t-il d’abord qu’il est vain de chercher le bonheur dans l’espace de la polis . pourtant, la crise de la démocratie athénienne, en ce qu’elle explique tout autant la naissance du cynisme que celle de l’épicurisme, ne rend pas compte, à elle seule, de l’originalité de la morale d’épicure. cette dernière a en effet pour point de départ une expérience et un choix. l’expérience est celle de la chair. on peut le lire dans les sentences vaticanes : “voix de la chair. ne pas avoir faim, ne pas avoir soif, ne pas avoir froid. celui qui dispose de cela peut lutter pour le bonheur”. bien sûr, la chair n’est pas ici une partie du corps mais, en un sens qui semble nouveau, le sujet de la douleur, du plaisir, en un mot: l’individu. ici, la chair nest pas séparée de l’âme puisqu’on ne peut éprouver de douleur ni de plaisir sans en avoir conscience. l’expérience de la chair va d’ailleurs, disions-nous, fonder un choix. ce qui compte, c’est avant tout de délivrer la chair de sa souffrance et de lui permettre d’atteindre le plaisir. de sorte que pour épicure, le choix de socrate et de platon, en faveur de l’amour du bien, repose sur une illusion. l’individu n’est mû que par la recherche du plaisir et de son intérêt. c’est d’ailleurs ici que la philosophie, et la reflexion sur le corps, a son mot à dire. car si l’on peut chercher le plaisir avec excès et de façon déraisonnable, on peut le rechercher de façon réfléchie et raisonnable, ce qui n’est rien d’autre que rechercher le vrai plaisir. or, qu’est-ce que le vrai plaisir pour épicure? c’est peut-être, nous y reviendrons, le pur plaisir d’exister , et d’exister d’abord en tant que corps. pourquoi, en effet, les hommes sont-ils malheureux et souffrent-ils, sinon précisément parce qu’ils ignorent le véritable plaisir? recherchant ce dernier, ils ne parviennent pas à l’atteindre parce qu’ils désirent ce qu’ils n’ont pas ou bien encore parce que la peur de perdre ce qu’ils ont les empêche d’en profiter et donc d’en retirer du plaisir. en y réfléchissant, on aperçoit que si les hommes souffrent, c’est d’abord en vertu de la vacuité de leurs opinions. on comprend dès lors quelle sera la mission de la philosophie qui sera médecine de l’âme. mais on comprend aussi que si la philosophie est une activité qui procure le bonheur, c’est parce que la peine et la souffrance humaine ont pour origine des opinions creuses. il faudra donc soigner l’âme malade parce qu’il faudra apprendre à goûter le plaisir et supporter d’être heureux . mais pour cela, il va falloir repenser le plaisir et repenser le corps. car il y a selon épicure deux types de plaisirs. il y a les plaisirs dits “en mouvement” qui, se propageant dans la chair, provoquent des excitations éphémères. si les hommes sont malheureux, c’est parce qu’ils recherchent exclusivement ces plaisirs qui sont insatiables et les condamnent à l’amertume. il faut donc distinguer de ces plaisirs un second type, le “plaisir stable” qui est un état d’équilibre qui consiste, affirme épicure, à ne pas avoir faim, ne pas avoir soif, ne pas avoir froid. citons ici le § 128 de la lettre à ménécée : “ce pour quoi nous faisons toute chose, c’est ne pas souffrir. et une fois que cela se réalise en nous, se dissipe toute la tempête de l’âme”. ce que décrit dans ce passage épicure est l’état de l’ aponia , l’absence de trouble corporel, qui est l’état dans lequel les besoins naturels du corps sont comblés et qu’il ne faut pas confondre avec l’ ataraxia qui est l’absence de trouble psychique. ceci précisé, il importe de comprendre que le plaisir, comme anéantissement de la douleur corporelle, est un bien auquel ne peut s’ajouter aucun nouveau plaisir. l’on pourrait ici s’étonner que la simple suppression de la faim et de la soif puisse nous permettre de réaliser cet état de plaisir tranquille qui définit le bonheur. or, il faut comprendre que cet état de suppression de la souffrance du corps, qui est un état d’équilibre, ouvre la conscience à une espèce de sentiment global, cénesthésique , de l’existence propre, autrement dit que cet état d’équilibre ouvre la possibilité d’une conscience confuse des sensations émanant de la profondeur du corps. tout se